Projet ITER de réacteur à fusion nucléaire

Atomes très crochus

A peine remis du matraquage autour de la candidature marseillaise à la coupe de l’América, les gens du coin sont priés de soutenir celle de Cadarache pour l’implantation d’un réacteur à fusion nucléaire. Arguments de promo : le rayonnement de la France à l’étranger, la création de milliers d’emplois, une énergie propre et inépuisable… Du flan. Mais un flan radieux.

À grands renforts de publicités pleine page dans la presse, les différentes institutions politiques de la région PACA font de la retape pour le centre de recherche du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Cadarache : ce site est le meilleur, son équipe la plus compétente et on ne vous parle même pas de la qualité de vie dans notre belle Provence… Bien entendu, le « réacteur expérimental thermonucléaire international » (ITER) est un défi scientifique « passionnant » et une chance « sans précédent » pour la région, si toutefois l’internationale de l’atome veut bien lui octroyer ce privilège1. Que l’expérimentation puisse durer cinquante ans sans garantie de réussite et que la mise en exploitation industrielle puisse prendre cinquante piges de plus est un détail. La preuve, personne ne s’attarde sur les risques et les contraintes que ce projet pharaonique (10 milliards d’euros sur trente ans, dont 4,7 pour la seule construction du réacteur) va faire peser sur ladite qualité de vie. De quoi s’agit-il ? En bref, de maîtriser la réaction qui se développe dans les bombes H (dites à hydrogène) en recréant en laboratoire ce qui se passe au cœur du soleil. L’objectif est de produire de l’électricité avec l’énergie ainsi récupérée. Actuellement, la fusion la plus facile à réaliser est celle du deutérium et du tritium, deux isotopes de l’hydrogène. Pour un gramme de ce mélange, l’énergie libérée est de 100 000 kWh, soit autant que par la combustion de huit tonnes de pétrole. Le deutérium se trouve en abondance dans la nature (chaque mètre cube d’eau en contient 35 grammes) et le tritium (radioactif) se fabrique à partir du lithium, lui aussi abondant. Sauf que c’est loin d’être simple : pour que ce mélange fusionne et se transforme en plasma, il faut le chauffer à 100 millions de degrés et le maintenir dans des champs magnétiques d’une intensité démentielle. Ensuite, il faut que le plasma soit assez dense, assez chaud et confiné assez longtemps. Et ça, on ne sait pas faire, même si ça fait déjà trente ans que des spécialistes du nucléaire répètent que la solution est pour bientôt.

« Cela me rappelle des souvenirs de jeunesse, raconte Philippe Chesneau, élu Vert au conseil régional PACA et opposé au projet. La surgénération devait déjà régler tous nos problèmes énergétiques. Malheureusement, l’histoire nous a appris que notre technologie n’était pas suffisamment élaborée, après quelques milliards dépensés et des compétences gaspillées, sans parler de vies humaines. Sur plus de dix ans, Superphénix a fonctionné seulement trois mois au régime normal : les contraintes thermiques, chimiques et autres causaient des fissurations et donc des fuites. Or, dans un réacteur à fusion, ces contraintes seront bien supérieures à celles d’un surgénérateur ». La fusion rencontre des oppositions au sein même du lobby nucléaire : trop de problèmes techniques restent non résolus2 et la rentabilité économique semble hors de portée. C’est d’ailleurs ce qui avait conduit les Etats-Unis à se retirer du projet en 1998. En janvier 2003, Bush décidait de revenir avec une participation financière minime, de l’ordre de 10 %. Or les Etats-Unis ne font pas mystère de leur désir de mettre au point des armes thermonucléaires miniatures.. La France y travaille également près de Bordeaux, dans le cadre du projet militaire Mégajoule (voir CQFD n°6). L’étanchéité entre les recherches nucléaires civile et militaire étant ce qu’elle est, il faudrait être bigleux pour n’y voir qu’une coïncidence. Quant à la qualité de vie… Il y a, bien sûr, des risques d’accidents et de pollutions, sans compter les déchets radioactifs. Ensuite, il va falloir alimenter en électricité le réacteur : à lui seul, il devrait consommer la production de plusieurs centrales nucléaires classiques, ce qui va nécessiter la construction de nouvelles lignes à haute tension. Le paysage et plus particulièrement la forêt centenaire de Cadarache en feront les frais. La faune alentour (oiseaux, mouflons…) aussi. Mais la cerise sur le gâteau, c’est le risque sismique. Cadarache est en effet situé sur la principale faille de Provence et à quelques kilomètres de la faille de Trévasse, qui provoqua en 1909 le plus gros tremblement de terre jamais enregistré en France, avec quarante-six morts et deux cents cinquante blessés à Lambesc. Même le très malléable Institut de protection et de sûreté nucléaire a jugé le risque sismique suffisamment sérieux pour inciter en 1994 à la fermeture de plusieurs ateliers, ceux notamment où la COGEMA fabriquait le MOX (combustible nucléaire très radioactif). Depuis, les différentes études officielles font état d’un risque sismique considérablement réduit et ne menaçant en rien le site de Cadarache. Par quel miracle, on ne sait pas. L’essentiel est que les Provençaux y croient. Et qu’ils soient convaincus qu’ITER est une chance inouïe. Celle de voir un jour, entre deux inondations, deux incendies et, pourquoi pas, un petit accident de type Seveso3, un « incident » radioactif pimenter leur quotidien.


1 Parties prenantes d’ITER depuis quinze ans : la Chine, la Russie, le Japon, la Corée du Sud, le Canada, les Etats-Unis et l’Union européenne. Le choix du site d’implantation se fera en février entre Cadarache et Rokkasho-Mura, au Japon.

2 Pour plus de détails, voir le site http://www.sortirdunucleaire.org

3 Il y a actuellement cinquante-sept installations classées Seveso 2 en région PACA.

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