« ¡ Aqui estamos de nuevo ! »

Ouvrage au titre énigmatique (Éclats d’anarchie) et au sous-titre qui ne l’est guère moins (Passage de mémoire), ce nouvel opus des éditions Rue des Cascades (en librairies le 11 juin) affiche près de 500 pages de « conversations » entre Guillaume Goutte et Freddy Gomez, ou pour le dire plus crûment, entre un jeune et un vieil anarchiste.

Freddy, né dans l’immédiat après-guerre, fils de l’exil libertaire espagnol, accepte de se livrer au jeu du récit de vie. Il revient d’abord sur ses jeunes années passées au milieu des militants de la CNT parisienne  : réunions du dimanche matin au local de la rue Sainte-Marthe, discussions enfiévrées entre les différentes tendances au Point du jour, le bistrot du coin, atmosphère enfumée et masculine. Il évoque brièvement sa généalogie  : « L’histoire du grand-père reste, après tout, typique d’une époque et d’une région du monde où les militants ouvriers tenaient indiscutablement de la race des seigneurs. » Puis décrit le sentiment de ses pairs : « En n’étant de nulle part, on finit par être du seul monde qui compte, celui que l’exilé trimbale dans son imaginaire et sous ses semelles de vent. »

Abordant son propre rapport au militantisme, Freddy Gomez évoque successivement les Comités d’action lycéens en 1968, la participation à la revue Frente Libertario (1970-1977), la besogne quotidienne au sein du Syndicat des correcteurs, puis la création de l’excellent bulletin de critique bibliographique À contretemps (48 numéros entre 2001 et 2014). L’exercice pourrait se révéler fastidieux, il est au contraire passionnant. L’interviewé parle peu de lui. Sa biographie semble un prétexte pour rappeler « les choses qui comptent. La mémoire des vaincus dans le combat séculaire pour l’émancipation ». Il y a dans ce livre de très fortes pages sur la reconstruction puis l’implosion de la CNT en Espagne entre 1976 et 1979, sur les « vieux militants blanchis sous le harnais », le fonctionnement atypique du Syndicat des correcteurs, la pensée critique antiautoritaire.

Extrait  : « Une fois arrivé à Barcelone (avril 1976), mon père m’a dit  : “¡ Aqui estamos de nuevo !” (“Nous sommes ici de nouveau”). Comme si sa victoire – leur seule victoire – était d’avoir tenu. Et c’est vrai que ce fut leur victoire, une victoire relative, certes, en comparaison des espoirs qu’avait trimbalés cette génération, mais une victoire tout de même, celle du roseau qui plie mais ne rompt pas. »

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