Après les morts écrabouillés, la confiance rétablie

« La crise vue comme une opportunité », titrait avec allant le principal quotidien anglophone du Bangladesh à l’occasion du premier anniversaire de l’effondrement du Rana Plaza (The Daily Star, 25/04/14). Un an après la pire tuerie jamais commise dans l’histoire de l’industrie textile (1 135 morts, 2 500 blessés, une centaine de disparus), les milieux d’affaires de Dacca célèbrent leur optimisme retrouvé. Les carnets de commande sont pleins, de San Diego à Montluçon le « made in Bangladesh » inonde les rayons des marchands de frusques. La hantise du boycott n’a pas résisté à l’intérêt bien compris du consommateur occidental. Bonne fée, la crise qui frappe les pays riches rend toujours plus irremplaçables les petites fourmis « low cost » qui s’échinent au bout du monde dans leurs sarcophages vétustes.

Par Rémi.

Pour le patronat bangladais, ce regain de forme marque l’aboutissement des réformes cosmétiques adoptées aux lendemains de la catastrophe. Hausse mirobolante du salaire minimum (à 50 euros par mois), reconnaissance des droits syndicaux (sur le papier), embauche de deux cents inspecteurs pour vérifier la « conformité » des cinq mille usines textiles du pays (et délivrer des certificats de bonne conduite à leurs propriétaires) : de la poudre aux yeux pour assécher les larmes des crocodiles et stimuler leur fringale. « Les horribles débris des huit étages du Rana Plaza ont donné le jour à des changements constructifs qui vont assurer un avenir radieux à tout le secteur », exulte le Daily Star. Interrogé par le journal, le directeur exécutif des opérations au Bangladesh pour le compte de l’Organisation internationale du travail (OIT), un certain Rob Wayss, prédit lui aussi un «  impact positif des inspections, qui devraient accroître la confiance des acheteurs internationaux dans les produits bangladais ». Peu importe si les commanditaires du Rana Plaza se foutent de leurs victimes comme de leur premier bénard : aux mortes ensevelies, aux survivantes brisées et à leurs familles désormais sans ressources, Auchan, Carrefour et Benetton refusent de verser un centime de dédommagement, tandis que Wal-Mart, Gap, Mango, Camaïeu et les autres n’ont distribué que des miettes – 15 millions de dollars au total, trois fois moins que l’aumône réclamée par les ONG. Les multinationales peuvent cracher dans la main qui les nourrit, la seule chose qu’on leur demande, c’est leur confiance.

Mais la confiance a un prix. Comme l’a calculé l’exportateur Rubana Huq, le patron d’une petite usine qui aurait l’idée saugrenue de respecter les normes de sécurité devrait s’acquitter en moyenne de 132 000 dollars en frais de rénovation et à peu près autant pour prévenir les risques d’incendie. Dans l’hypothèse d’une production annuelle de 1,4 million de chemises, une telle dépense lui imposerait de porter le tarif de ses nippes à 4,19 dollars pièce, soit une majoration de 29 cents. Impensable, car « nos acheteurs étrangers ne sont pas prêts à payer davantage » – manière polie d’indiquer qu’en réalité les multinationales exigent des produits toujours moins chers. Le prix de la confiance, c’est de compter pour du beurre les facéties internationales sur la sécurité. Et d’attendre tranquillou la prochaine horreur industrielle.

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