Après le béton

Avant, en Normandie, tout le monde bouchait ses murs avec du torchis. Et puis, blockhaus oblige, le béton est devenu à la mode, et tout le monde a oublié qu’on pouvait mélanger la terre et la paille pour faire des murs séculaires. Mais Ludivine et Jérôme ne font rien comme tout le monde.

C’est pas grand chose, le torchis : de l’argile prise sous l’humus, du sable dosé en fonction de la pureté de l’argile, et de la paille broyée. Jérôme et Ludivine, c’est le torchis qui les a choisis : ils n’ont pas les ronds pour acheter des parpaings, et leur future maison à Bosguérard-de-Marcouville (Eure) est tout en colombages de chêne. Du béton, ça aurait fait tache. Mais le torchis, même ici, plus grand monde ne se rappelle comment le faire. Ils ont donc beaucoup tâtonné. Et comme il fallait des bras et des bottes en caoutchouc, ils ont rameuté les potes et la famille pour une grosse nouba dans la boue, le 24 septembre dernier.

À 8 heures du matin, Jérôme explique aux premiers arrivés comment procéder : dans un grand abreuvoir circulaire, on jette vingt pelletées de terre, dix de sable, dix poignées de paille, un peu d’eau. « Dans certains pays, ils font ça avec de la bouse de vache, on a échappé au pire... » On piétine. « Dans l’temps, ils faisaient piétiner les chevaux. » On peste. « Mais on en a, des chevaux ! Ficelle ! Framboise ! » Les deux dogues allemands se débinent lâchement. On retourne la tambouille à la fourche et on remplit seaux et auges pour tartiner à mains nues les interstices laissés par les colombages, déjà à moitié remplis de torches – boudins de paille trempés dans la boue et coincés, quinze jours plus tôt, entre des baguettes de châtaigner. L’argile venant à manquer, on va faire le plein chez un paysan voisin qui en a gardé des tas après le chantier de l’autoroute. Il charge deux godets, à l’œil, sur le camion-plateau dégoté par un cousin. Le midi, Pierrette a déballé le casse-croûte pour trente (!) et, après le café, c’est reparti, sans un ordre, jusqu’au repas du soir. Guitares, contrebassines et percus au coin du feu, c’était pas gagné d’avance, boudiou !, avec la météo d’ici...

Des efforts collectifs, il y en eut d’autres, comme « pour le démontage de l’ancien bâtiment et pour couler la dalle ». La maison avance au gré des rentrées d’argent qui permettent d’acheter le bois, les tuiles, les fenêtres… Le porte-monnaie a poussé à l’autoconstruction : « On a découvert un monde anar, décroissant, raconte Jérôme. Avec tout ça, j’ai fait ma formation politique ! » Aux crédits prohibitifs, le couple préfère la lenteur. « Il vaut mieux prendre son temps, et ce qui nous y autorise, c’est la possibilité de vivre sur place », estime Jérôme. La caravane est accolée à une cabane qui abrite salle d’eau et chiottes sèches. « Quand je suis arrivée en 2008, il n’y avait pas le chalet, je me suis lavée à la bassine de février à novembre », se souvient Ludi, qui rejoint le chantier après ses heures de boulot. « Maison ou pas, tant que j’étais avec toi, je m’en foutais », qu’elle dit tendrement. « C’est qu’elle a des grands cheveux, faut bien les laver ! » se marre Jérôme, qui alterne petits boulots pour remplir les caisses, et périodes de chômage. « Si je n’avais pas vécu un an sur le dos de la collectivité, la maison serait encore à l’état de projet. Quand je disais que j’étais chômeur, je voyais des sourires crispés. Mais on me traite plus de feignant maintenant que la maison est debout ! »

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