Extrêmes droites

A lire : Georges Albertini, l’éminence brune

Avec près de 60 bouquins au compteur, Gérard Delteil est une figure du polar français. Il cultive néanmoins une différence avec une grande partie de ses coreligionnaires : il ne s’en tient pas à la fiction et mouille la chemise depuis toujours. Ancien du PC, passé par Lutte ouvrière, il milite au NPA et maintient de forts liens avec ses copains cheminots. Voilà pour le situer.

Il vient de signer Les Années rouge et noir, un long roman de quelque 500 pages publié dans la collection « Roman noir » du Seuil. Pour le coup, l’emballage est trompeur et le titre imprécis puisqu’il ne s’agit pas d’un polar mais d’une vaste fresque sur une génération, celle qui s’éveille au fait politique dans les années 1930 et prend sa retraite à la fin des années 1970.

Ce récit retrace les pérégrinations de trois personnages : Alain Véron, frère d’un communiste mystérieusement assassiné à la Libération ; Anne Laborde, jeune résistante des réseaux gaullistes devenue haut fonctionnaire, et Aimé Bacchelli, ancien collabo et homme de l’ombre influent.

En filigrane, Gérard Delteil rend hommage aux résistants FTP, aux grévistes de Renault (1947), aux anticolonialistes porteurs de valises, aux militants communistes révolutionnaires et à celles et ceux qui luttèrent pour le droit à disposer librement de leur corps. Mais aussi et surtout, il exhume une trajectoire de l’extrême droite française peu connue : celle de Georges Albertini (1911-1983), qui apparaît sous les traits d’Aimé Bacchelli.

Prof d’histoire et membre de la SFIO dans les années 1930, « munichois » et pacifiste, Albertini devient dès 1942 le numéro 2 du Rassemblement national populaire de Marcel Déat. Partisan de l’alliance avec l’Allemagne hitlérienne au nom du « socialisme européen », il est en charge du recrutement de la Légion des volontaires français (LVF). Arrêté à la Libération, il est incarcéré quelques années mais réussit à sauver sa tête. En ce début de guerre froide, son carnet d’adresses est précieux.

Anticommuniste virulent, il monte alors une officine de contre-propagande, s’entoure d’ex-collabos (Claude Harmel) ou d’anciens révolutionnaires (Boris Souvarine) et édite le bulletin Est & Ouest avec le concours du grand patronat français. Actif dans la formation de Force ouvrière, proche de la franc-maçonnerie, ami et conseil d’hommes politiques ambitieux (François Mitterrand en 1956, Jacques Chirac dans les années 1970), il appartient au premier cercle des conseillers du prince lors de la mandature de Georges Pompidou. Impliqué dans tous les mauvais coups (milices patronales, soutien au SAC, recyclage des anciens de l’OAS), il a largement contribué à ramener dans le « droit chemin » les militants d’Occident, Madelin et Longuet (Alain Courtet et Gérard d’Adeline dans le roman).

Grenouillage, versatilité et barbouzerie, Albertini était une crapule et un vrai personnage de roman. Pas étonnant, en somme, que cette fiction fonctionne si bien.

Les Années rouge et noir, Le Seuil, 510 pages.

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