De la sous-traitance à la maltraitance

À Lyon, lutter ou se faire karchériser

Deux mois durant, les salarié·es du nettoyage de la plateforme Lyon-Perrache ont cessé le travail pour tenter de sauver leurs postes. Au nom de l’économie sociale et solidaire, la nouvelle Métropole de gauche a en effet fait le choix de remplacer ces travailleur·ses, en CDI mais en sous-traitance, par des salarié·es en insertion, plus économiques et embauché·es à durée déterminée. Récit.
Par Élias

Pour le voyageur de passage ou la nouvelle habitante de Lyon, le « centre d’échange de Lyon-Perrache » (CELP) est un vrai labyrinthe, réparti sur plusieurs étages. Où donc prendre le bus 60 ? Ou le car pour Marseille ? Il faut dire que cette plateforme de correspondances qui jouxte la gare du même nom et une autoroute, regroupe une gare routière, une station de tram et de métro, ainsi qu’une galerie marchande.

Depuis plus d’une vingtaine d’années, son nettoyage est confié à des sociétés privées qui se sont succédé, appel d’offres après appel d’offres. Lorsque le marché change de main, en vertu de la convention collective des entreprises de propreté, les contrats des salarié·es sont automatiquement reconduits par le nouveau prestataire. « On change juste la tenue de travail », raconte Mehrez, qui nettoyait la gare depuis sept ans.

Cette fois, les agent·es n’ont pas changé d’uniforme. Le 31 décembre 2022, date de la fin du contrat qui lie le Grand Lyon à l’entreprise qui les emploie, ils et elles ont été tout bonnement mis à la porte. « C’est notre cadeau de fin d’année », grince Mehrez. Le 10 octobre dernier, lui et ses collègues se mettaient en grève pour tenter de conserver leur emploi.

Plus de précarité pour moins de précarité ?

Depuis quatre ans, ce marché public était confié à Arc-en-ciel (filiale de T2MC). Les 21 salarié·es, tous et toutes en CDI, intervenaient 7 jours sur 7 pour assurer la propreté du CELP. Mais lorsque le nouvel appel d’offres est lancé cet été, la Métropole décide de le réserver aux seules entreprises d’insertion, excluant de fait la société Arc-en-ciel de la compétition. Le nouveau Schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER) de la Métropole de Lyon, voté en décembre 2021, prévoit en effet de multiplier les heures de travail effectuées par des personnes en insertion sur le maximum de chantiers publics1. L’idée, a priori généreuse, est de lutter contre l’exclusion en favorisant l’emploi des personnes les plus en difficulté.

En réalité, l’opération est avant tout une bonne affaire pour la Métropole. Les « structures de l’insertion par l’activité économique », subventionnées par diverses collectivités, pratiquent en général des tarifs plus avantageux que les autres entreprises. Des aides publiques pour chaque poste leur sont en effet versées afin de compenser la (supposée) moindre productivité de leurs salarié·es et les dépenses engagées pour leur accompagnement.

Double bingo pour la Métropole, qui détient depuis sa création en 2015 la compétence départementale de l’action sociale et donc verse, à travers la Caisse d’allocations familiales, les allocations RSA aux habitant·es de l’agglomération lyonnaise : en mettant à contribution sur ses chantiers publics des personnes en insertion, la plupart bénéficiaires de ce RSA, elle économise leurs prestations sociales et n’a pas à débourser beaucoup plus pour les faire travailler là où elle en a besoin. Bref, les missions sont réalisées à plus bas coût, par des bénéficiaires des minimas sociaux dont la mise au travail est un vieil objectif (néo)libéral, tout en réalisant apparemment une action socialement vertueuse.

Les responsabilités à géométrie variable de la Métropole

Dans un communiqué du 6 décembre, Marie-Charlotte Garin, députée EELV du Rhône, demandait à T2MC de « prendre leur responsabilité », façon de dédouaner le Grand Lyon des siennes. Mais l’élue a beau dire : la totalité des salarié·es laissé·es sur le carreau ne pourront être affecté·es à un autre chantier lyonnais par la société Arc-en ciel. Dans le secteur de la propreté, les temps partiels fractionnés sont la règle. La plupart des chantiers ne nécessitent que peu d’heures de travail, seul l’entretien des grands bâtiments publics nécessitant l’embauche de personnes à temps plein. « Il faudrait construire une nouvelle gare pour pouvoir reclasser tou·tes les grévistes ! » explique Arnaud de Rivière de La Mure, représentant du syndicat CNT-SO qui a accompagné le mouvement.

La Métropole de gauche a semblé surtout se préoccuper de sauver les apparences.

Par le passé, la Métropole a pourtant su se montrer beaucoup plus concernée par le sort de ces salarié·es en sous-traitance, se comportant davantage en supérieur hiérarchique direct qu’en simple commanditaire. Le travail des agent·es de nettoyage était contrôlé plusieurs fois par jour par un employé de la Métropole. Selon le cahier des charges, il pouvait même exiger le remplacement de celles et ceux ne donnant pas satisfaction. De fait, plusieurs salarié·es ont ainsi été écarté·es au cours des dernières années, dont plusieurs délégué·es du personnel, à l’initiative d’un de ces « contrôleurs qualité » arrivé en 2012.

Pendant plusieurs années, bénéficiant d’un soutien sans faille de sa hiérarchie, celui-ci a instauré un climat de terreur, plaçant l’équipe sous pression quotidienne. Harcèlement, racket, etc : les plaintes et mains courantes déposées par des employé·es de Perrache, ainsi que des courriers envoyés à la Métropole, témoignent d’une situation invivable. Les salarié·es avaient ainsi déjà fait grève pendant dix jours en juin 2021 pour réclamer le retrait de cet émissaire zélé de la Métropole et obtenu gain de cause2.

Lumières amères

Cette fois, la Métropole, dont la majorité est constituée par une alliance de gauche entre EELV, LFI et le PS, a semblé surtout se préoccuper de sauver les apparences. Quelques jours avant que ne débute la très touristique Fête des Lumières et qu’ouvre le marché de Noël, elle a fait appel à une autre société de nettoyage pour briser la grève. Escortés par la police, les nouveaux venus ont lessivé la gare, sous les yeux des travailleur·ses en lutte dépité·es. Dont la détermination n’a pas faibli pour autant : le 7 décembre, veille du lancement des festivités, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées place des Terreaux, avec banderoles, slogans et prises de parole au mégaphone devant la Mairie.

Las, neuf jours plus tard, la fin de la grève était signée, après la promesse d’un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) permettant d’envisager reclassements, formations et indemnisations. Les deux mois de grève auront coûté cher à ces salarié·es qui n’ont pourtant pas cessé d’assurer un service minimum, vidant les poubelles et nettoyant les toilettes du CELP. Mais sans la lutte, qu’ils et elles ont mené « comme une famille », selon les mots de Mehrez, les membres de l’équipe se seraient sans doute vu « proposer » des postes dans des villes trop éloignées. Contraint·es de les refuser, ils et elles auraient risqué des licenciements pour faute grave sans indemnité comme c’est souvent l’usage dans le secteur du nettoyage.

Pour n’avoir pas l’air de leur tourner complètement le dos, la Métropole a d’abord suggéré à Mehrez et ses collègues de s’adresser à Pôle emploi. Le combat qu’ils et elles ont mené leur a heureusement ouvert d’autres voies.

Bonne année

1 « Entretien croisé MMIe et DIE : “Il y a désormais une volonté de développer les clauses d’insertion dans l’ensemble des marchés” », Millénaire 3, 1 novembre 2021 (millenaire3.com).

2 « Grève du nettoyage à Lyon-Perrache : le premier conflit social géré par la Métropole écologiste », Guillaume Bernard, Rue89 Lyon, 18 juin 2021 (rue89lyon.fr).

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CQFD n°216 (janvier 2023)

Pour ouvrir 2023, un dossier « Développement personnel, régressions collectives ». Avec notamment un long entretien avec le réalisateur du documentaire « Le business du bonheur ». En hors-dossier, on parle de la déferlante législative anti-squat, de la révolte (révolution ?) iranienne (notamment à travers le rôle central des femmes), des indigènes et de la gauche au pouvoir au Mexique, de mares à grenouilles comme outil de lutte du côté de Dijon, de la grève des salarié.es du nettoyage à Lyon Perrache... Deux longs entretiens sont aussi au menu : Jérémy Rubenstein revient sur l’histoire (et l’actualité) de la contre-insurrection à la française et Tancrède Ramonet nous parle de sa série documentaire « Ni dieu ni maître » consacrée à l’anarchisme. Et comme c’est la nouvelle année, un cadeau : le retour du professeur Xanax de la Muerte qui vous offre votre horoscope 2023 !

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