Féminisme : la jouer collective

À Arles, un lieu à soi

Inaugurée à Arles (Bouches-du-Rhône) au printemps dernier, La Collective se veut un lieu ressource pour les femmes, les jeunes filles et les personnes LGBTQIA+ des environs. Au programme : ateliers d’autodéfense féministe, permanences de soutien à la parentalité ou séances de psy à tarif réduit. Un objectif : toucher un public le plus large possible. Reportage.
Par Typhaine Lambermont-Michel

C’est une maison blanche, adossée à des hangars aux toits de tuiles. Pour y accéder, il faut d’abord franchir un grand portail vert bouteille, puis traverser une vaste cour gravillonnée où sont disposées quelques chaises bigarrées, agencées autour de tables en plastique. Ici un barbecue, là des jouets d’enfants posés au sol. Seul indice de la raison d’être du lieu, l’immense fresque recouvrant un mur en parpaings qui fait face à la demeure. Sur un pan, un dessin : une femme, de dos, la tête tournée de trois quarts, le port assuré, un regard de défi. Au-dessus d’elle, un mot : « Power ». Ici, c’est La Collective, « un lieu d’écoute, de soutien et de solidarité » pour les jeunes filles, les femmes et les personnes LGBTQIA+. Niché quelque part entre le centre ville d’Arles (Bouches-du-Rhône) et le quartier populaire du Trébon, au 75, avenue de Stalingrad, il a ouvert ses portes au printemps dernier – après un ravalement de façade opéré lors de chantiers collectifs.

Il est environ 15 heures, ce vendredi après-midi de septembre, quand deux femmes passent la porte de La Collective. Baskets aux pieds, jean slim de jais et débardeur noir, Leïla*, quinze ans, découvre les lieux. À ses côtés, Juliette*. La trentenaire est travailleuse sociale et c’est elle qui a eu l’idée d’emmener Leïla ici : « Se retrouver dans ce lieu, c’est l’occasion de sortir du centre social et du quartier. » Le prétexte ? Un atelier autour des ressorts sexistes des émissions de télé-réalité, que Valérie Rey-Robert animera en fin de journée. L’autrice de Télé-réalité – La fabrique du sexisme (Hachette, 2022) est de passage en ville pour présenter son livre. L’occasion de marquer un stop à La Collective, où des ateliers sont ­régulièrement organisés en collaboration avec des autrices féministes. « J’ai pensé que le sujet du sexisme dans la télé-réalité pouvait parler à Leïla », explique la travailleuse sociale. L’indolence en étendard, Leïla s’anime peu à peu : « Les mecs, souvent, ils abusent... Et pas que dans les émissions : je me le dis quand je fais la vaisselle pendant que mon frère sort », lâche-t-elle. Et Juliette de dévier tranquillement mais sûrement du sujet initial : « Tu sais, Leïla, il y a des psys ici aussi si tu veux parler... »

« Le soin, au sens large »

C’est que La Collective est un lieu hybride : depuis l’ouverture, elle accueille entre ses murs une chorale non mixte, organise des groupes de parole collective (récemment autour du sujet de l’emprise), met en place des stages d’autodéfense féministe et propose une permanence régulière d’accompagnement à la parentalité. Une autre à destination des personnes LGBTQIA+ est en gestation. Sans oublier le fonds de documentation axé sur la santé et le corps, qui se constitue pas à pas. Mais La Collective, « c’est d’abord et avant tout un lieu tourné vers le soin, au sens large », explique Fanny, sa fondatrice. Psychologue de formation, entourée de cinq autres thérapeutes, elle a tenu à proposer des séances de psychothérapie au public auquel s’adresse le lieu. Une démarche politique, qui n’est pas sans rapport avec les autres activités de La Collective : « Notre pratique est située, précise Fanny. C’est-à-dire qu’on considère que l’expérience vécue est d’abord une expérience sociale. Que les troubles individuels doivent être considérés à la lumière de l’histoire singulière de chacun et chacune, mais aussi de l’impact négatif des systèmes d’oppression et de domination. » À l’heure actuelle, douze séances hebdomadaires individuelles sont assurées par l’équipe dans une petite pièce ensoleillée où un divan a été installé. Pour chaque séance, un prix indicatif de 25 euros est proposé aux personnes qui le peuvent (contre 50 à 70 euros en moyenne en cabinet).

« Un lieu passerelle »

À La Collective, l’intérêt général se pense au sens large : « On tient à ce que le lieu soit inclusif socialement, notamment parce qu’on a bien en tête que, derrière son image de ville attractive où l’on investit dans la culture et le tourisme, Arles est hyper polarisée avec un taux de pauvreté important [23 % en 2019]. On veut que ce soit un lieu passerelle. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a choisi d’investir cet endroit qui n’est ni dans le centre, ni dans un quartier prioritaire , explique Fanny. Et puis on fait largement le lien avec les acteurs du social sur le terrain. » La Collective est en effet en contact aussi bien avec le Csapa 1 que les centres sociaux ou la maison des adolescents. Et déjà, des ponts sont jetés : un atelier de soins esthétiques a été mis en place avec des femmes du centre d’accueil de demandeurs d’asile de la ville.

Monter un lieu ouvert, c’est un pari et on en mesurera la réussite ou l’échec sur le temps long

« Monter un lieu ouvert, c’est un pari et on en mesurera la réussite ou l’échec sur le temps long », concède Fanny. Dans une ville soumise plus que d’autres aux logiques de gentrification, les huit ateliers d’artistes qui partagent l’espace avec La Collective ne risquent-ils pas de participer à produire de l’entre-soi ? Louisa*, professeure dans le secondaire venue participer à l’atelier du jour, se pose la question du brassage : « Est-ce que ça va s’ouvrir ? Toute la question est là... » En attendant d’avoir la réponse, elles sont une dizaine à venir échanger avec Valérie Rey-Robert. Une fois les présentations faites, les bises claquées et les verres remplis, chacune s’installe dans la pièce principale de la maison – qui sur une chaise, qui sur le canapé. La séance peut commencer : des extraits d’émissions sont projetés sur un mur avant que le petit groupe ne décortique ensemble la façon dont la télé-réalité, de « Koh-Lanta » à « La Villa des cœurs brisés » en passant par « Les Marseillais », distille dans toutes les couches de la société un sexisme que chacune ici voudrait voir enterré. Une bonne heure s’est écoulée, l’atelier est terminé et les discussions se poursuivent sur le seuil de la maison. Pour toutes les présentes, c’est sûr, la solidarité entre femmes n’est plus une arlésienne.

Tiphaine Guéret

* Prénoms modifiés


1 Centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie.

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CQFD n°213 (octobre 2022)

Dans ce numéro, un dossier sur l’inflation : « Les poches vides & la rage au ventre ». Mais aussi un appel à soutien, l’audacieuse tentative de la Quadrature du Net qui cherche à faire interdire la vidéosurveillance partout en France, un reportage dans une bourgade portugaise en lutte pour préserver des terres collectives face à une mine de lithium, une analyse sur l’Italie postfasciste...

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